ARTS DE L’ISLAM _ LE VERRE
- Uyen Vu
- Jun 29, 2020
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INTRODUCTION
Au moment de la conquête islamique au cours du VIIe siècle, la verrerie était déjà une industrie florissante en Égypte et en Asie occidentale depuis des siècles.
Les verriers du nouveau monde arabo-musulman ont hérité de nombreuses techniques de leurs prédécesseurs des empires sassanide et byzantin concernant la manipulation du verre fondu, le soufflage du verre, l'utilisation de moules et l’application de décors sur le verre. La production de verre islamique s’étend sur une période allant du VIIe au XIVe siècle. Cette industrie fut florissante et su adapter les différentes techniques aux cultures locales mais fut également très novatrice : verre émaillé, objets taillés en relief et « lustre ».
Le production de verre fut destinée à différentes utilisations utilitaires : lampes de mosquée, vaisselle courante, nargileh (Inde Mongole), flacons de parfum, pièces de monnaie mais aussi esthétiques : vaisselle luxueuse réservée aux grandes occasions, bijoux, figurines.
Le verre islamique a développé une expression unique qui connu sa période d’apogée sous le Sultanat Mamelouk. Grâce aux routes commerciales entre l’Europe et le Moyen-Orient, les méthodes de production de verre développées dans le monde islamique firent leur chemin vers l'Occident, donnant lieu à une réémergence de la verrerie en Europe, et contribua à développer l’industrie du verre vénitien tandis que cette production déclina dans le monde arabo-musulman.
Nous allons voir quelle est la place de cette production sur le marché de l’art.
Nous avons sélectionné six oeuvres en verre provenant de différentes régions du monde musulman et fabriquées sous différentes dynasties afin d’appréhender la production du verre islamique. Nous aborderons pour chacune de ces pièces l’histoire de la dynastie et étudierons leur fonction, puis leur place sur le marché de l’art.
I - PORTE-PLUME EN VERRE SASSANIDE OU DU DÉBUT DE L'ISLAM

Perse, Ve - VIIe siècle
En verre transparent vert émeraude, de forme cylindrique à décor facetté en pointes de diamant, reposant sur une base arrondie.
Dimension : H.30 cm
Estimation : 97.000 - 150.000 euros
Adjudication : 300.000 euros
Le verre sous la Dynastie Sassanide, Perse, Ve - VIIe siècle
L'Empire Sassanide de Perse (qui dure du début du IIIe au VIIe siècle) s'étendait du nord de l'Irak à l'Asie centrale, avec l'empire perse en Iran comme aujourd'hui. Sa capitale était Ctésiphon, lieu d’émulation artistique et intellectuelle, ouvert au flux des idées et des avancées technologiques, venu de Syrie romaine. Ceci eu une grande influence sur l’artisanat Sassanide et plus particulièrement sur la production verrière. Lorsque l’Empire s’effondre, cette industrie florissante, ses techniques et caractéristiques, sont transmises aux artisans islamiques. Les influences mutuelles rendent difficile la distinction entre le travail du verre de l’ancien Iran, du verre Sassanide, Byzantin et la production islamique.
Bien que l'Empire ne dura que quatre décennies, le verre Sassanide (également nommé verre persan), désigne la production du IIIe au VIIe siècle mais aussi l’ensemble des réalisations de la région du VIIIe au XIXe siècle. Pour distinguer cette production, on la définie en fonction de la période, du territoire et du style employé.
1. Analyse de la production
L'industrie du verre Sassanide a influencé les débuts de la production du verre islamique notamment dans le choix de composition du matériau et dans les techniques employées pour la décoration.
Lieux de production
D’après les recherches archéologiques, les premiers sites islamiques de production de verre se trouvent dans les régions centrales et méridionales de l'Irak, avec une production à grande échelle. Les principaux ateliers découverts se trouvent à Veh Ardashir et trois autres sites verriers dans le sud de l'Irak, dont des sites mésopotamiens, Kush dans le sud-est de l'Arabie, et un site dans la ville de Merv (Turkménistan moderne).
Il faut se pencher sur les matériaux utilisés, car en fonction de la zone de production, il peut-être plus facile d'importer certaines matières premières (soit du sable, de l'alcali) ou du combustible. Les qualités du sable peuvent permettre de distinguer s'il s'agit d'une production locale ou extérieure. De nombreux ateliers utilisaient des cendres végétales comme fondant, ce qui a été repris par les premières industries verrières islamiques de la région. Les matériaux utilisés peuvent avoir une incidence directe sur les couleurs.
Les couleurs et matériaux
En raison du climat du Moyen-Orient, la fabrication du verre à base de cendres végétales était couramment utilisée, ce qui compensait le manque d’autres matériaux et le verre brut, inutilisable en raison de sa composition.
La première production est un verre de couleur vert/jaune-vert et bleu-vert qui apparaît principalement au début de l'empire Sassanien (IIIe siècle), retrouvé sur le site de Veh Ardashir. Le second type de production remonte au IV ème siècle, une source de silice plus pure entre dans la composition chimique. La troisième recette produit un verre plus transparent, marquant le changement de goût des Sasaniens.
Le métal est également important dans la production de verres et donne différentes teintes. Les nuances verdâtres et jaunes pâles sont les plus courantes. Il existe également des teintes bleu verdâtre et brunâtre claires, et en particulier à la fin de la période Sassanienne. Certains verres comme le bleu foncé ainsi que le verre blanc laiteux apparaissent à la fin de la période et même après. Grace aux fouilles archéologiques, on a retrouvé des couleurs telles que le rouge, le violet et le doré en Irak, mais il pourrait avoir été importé de Syrie romaine pendant cette période.
La couleur des verres est liée au statut social car les riches ont tendance à préférer des verres plus clairs, plus transparents et plus naturels alors que les verres colorés ont moins de valeur.
Les méthodes employées : formes et techniques
On trouve peu de grands récipients en verre entre le IIIe et le VIIe siècle, ils apparaissent à partir de la fin du VIIIe siècle. Au début de l’ère Sassanide, les formes les plus courantes sont les bols ouverts à bords fendus et à facettes circulaires peu profondes, ainsi que de la vaisselle courante comme les gobelets, les coupes, les petites bouteilles ainsi qu’une variété de petits objets. Cette production est le plus souvent vert pâle.
Le processus de création des verres utilisé par les artisans sassaniens consiste à partir de la forme de base du verre soufflé à chaud, puis décorer la pièce à froid par polissage et découpage en panneaux et en facettes. Le soufflage et le pressage du verre dans des moules était une autre technique utilisée pour fabriquer des bouteilles ou des petits pots, des bols, etc., cela permettait de produire plus rapidement et à moindre coût un effet nid d'abeille. La production de verre Sassanide se caractérise par des pièces épaisses en verre soufflé, de couleur unie et favorisant la transparence. Certains types de pièce ont fait l'objet d'une production de masse dans le centre et le sud de l'Irak, ainsi que dans l'importante région du Caucase du Sud, mais d'autres productions semblent relativement rares selon leur usage et leur fonction (à des fins funéraires par exemple).
En ce qui concerne la technique, le verre taillé sassanide est très proche de la production romaine, apparue à Veh Ardashir au début du IVe siècle. La technique évolue ensuite vers un important degré de maitrise : le verre facetté en triangle à des facettes circulaires striées ou se chevauchant. En raison de la taille du verre en profondeur, les récipients ont généralement des parois plus épaisses que la vaisselle ordinaire. La découpe au tour est une autre méthode caractéristique couramment utilisée par les artisans sassanides, elle est héritée des Achéménites qui l’utilisaient déjà au Ve siècle avant J.-C. Les bols peu profonds sont moins courants, ce sont plutôt des bols hémisphériques à décor facetté en taille profonde qui prennent le dessus sur la production au cours du VIe siècle, ils sont caractérisés par des motifs polygonal en nid d'abeille ou en écaille de tortue. Ils deviennent de plus en plus épais et lourds, et dans des teintes allants du vert clair au brunâtre clair.
Les rapports entre la forme et la fonction du verre sassanide sont divers, on trouve à peu près toutes les tailles, formes et combinaisons possibles, mais il semble qu'à partir du début du VIIe siècle, les grands tubes cylindriques soient assez rares. Les facettes à coupe hémisphérique, les facettes ovales, les facettes carrées, les doubles facettes sont également des éléments à prendre en compte en ce qui concerne la valeur des objets en raison de l'investissement en temps et en soins.
2. Place sur le marché de l’art
- Rareté : La technique de la découpe à la meule était normalement réservée à la production de bouteilles et de vaisselle, ainsi nous pouvons dire que cet objet est un rare exemple en ce qui concerne sa forme cylindrique facetté, technique qui demande beaucoup de temps, de maîtrise et de soin.
- Prestige de la signature : Selon le catalogue Sotheby’s, cette pièce était un objet de prestige et devait donc être réservée à une personne de haut rang.
- Originalité : Ce porte-crayon en verre de couleur émeraude est décorée de facettes en pointe de diamant à l’image d’un nid d’abeille. On peut donc dire que cette pièce est peut-être appréciée pour son originalité.
- Qualité : On peut déceler un très haut degré de finitions tant le polissage fait oublier les traces de la découpe ainsi que des bords au finis parfaits. Aussi, la transparence du verre nous permet de comprendre le degré de maîtrise des artisans verriers de cette période.
- Conservation : En très bon état, quelques brisures au niveau de la base, quelques inclusions au verre. Ce qui est remarquable pour une pièce si ancienne.
- Dimensions : La hauteur de cette pièce atteint tout de même 30 cm, ce qui en fait un bel objet de décoration et de collection, elle a une dimension plaisante c’est donc un critère à prendre en compte.
- Sujet : Cette pièce provenant de la Collection d’art Islamique de Nasser D. Khalili est considérée par les experts comme étant un porte-crayon ou pinceaux, servant à contenir des documents. Cette analyse fut faite en analysant les fragments de verres trouvés à Qasr-I Abu Nasr. Cette pièce a donc un intérêt historique.
- Matière : Ce porte-crayon fut créé en utilisant une technique de cuisson à haute température, en verre soufflé et décoré grâce à la découpe à la meule, vue son épaisseur et sa robustesse.
- Origine : Cette pièce est considérée comme ayant été créée entre le Ve et le VIIe siècle en Iran ou en Iraq pendant la période de transition de la dynastie Sassanide à l’ère Islamique. Quelques pièces similaires dans la forme et le décor ont été retrouvées à Nineveh dans en Mésopotamie du nord ainsi qu’à Qasr-I Abu Nasr en Iran du sud.
- Offre et demande : Des exemples de pièces similaires sont exposées au Corning Museum of Glass ainsi que dans les collections Khalili (la plus importante collection d’arts islamiques du monde). Il y a donc très peu de pièces de ce type qui passent en vente sur le marché de l’art.
- Communication : Sotheby’s a su donner suffisamment d’informations sur cette pièce et sur son importance pour la période Sassanide.
- Fluctuation : Considérant le peu de pièces de cette forme dans la production de verre Sassanide qui nous soient parvenues, ce porte-crayon est extrêmement rare bien que cette technique de découpe à facettes ait été relativement répandue sur différents objets tout au long de la production de verre islamique.
- Mécénat : Cette pièce provient de la collection de Nasser D. Khalili, la plus prestigieuse et la plus importante collection d’arts islamiques au monde. Ceci a donc une grande importance concernant sa valeur.
- Lieu d’adjudication : Cette pièce a été adjugée chez Sotheby’s Londres en 2012 mais cela n’a pas grande importance dans la valeur.
- Esthétisme : Cette pièce a une forme cylindrique très rare par rapport aux autres pièces présentées en vente. Par ailleurs, sa couleur vert émeraude qui embrasse la découpe en pointes de diamant ajoute beaucoup de valeur à cette pièce.
II - LOT DE TREIZE PIÈCES DE MONNAIE ABBASSIDES ET FATIMIDES EN VERRE



Proche-Orient, probablement Egypte, circa VIIIe - XIIe siècle
Lot de treize pièces de monnaie de forme circulaire, de couleurs vert, marron, turquoise ou transparente, frappées d’une inscription coufique.
Quantité: 13
Dimensions : 2.5 cm à 3cm. diamètre 9 cm maximum
Estimation : 5.900 - 7.300 euros
Adjudication : 43.834 euros
1. Période abbasside-fatimide (909-1171)
La dynastie fatimide s'est étendue sur un vaste territoire comprenant l'Algérie, la Tunisie, la Sicile, la Syrie et l'Afrique du Nord actuelles. Les Fatimides ont conquis l'Égypte en 969 et ont ensuite établi la capitale Al-Qahira (Caire actuel) alors rivale de la capitale abbasside de Bagdad. L'Égypte joue le rôle d'intermédiaire dans le commerce entre la Méditerranée et l'Inde et a, grâce à cela, bénéficié d'une grande prospérité. Cela explique pourquoi l'art fatimide provient principalement de l'Égypte, largement représenté dans les arts décoratifs, pour ses oeuvres en cristal de roche sculpté, le verre, les objets en métal, la céramique, le bois et l'ivoire, les bijoux et les textiles en or, les livres et la monnaie.
La création d'objets opulents et finement travaillés provenant de la capitale Al-Qahira sont très appréciés. Après le déclin de la dynastie fatimide, la production d’oeuvres a continué à être conçue dans le même style, mais dans le cadre de productions de masse et en utilisant des matériaux moins précieux.
2. Production de monnaie en verre et fonctions
De la fin de l’ère du Bronze au début de la période moderne, l'Égypte est reconnue comme l'un des principaux centres de production de verre, notamment grâce à ses ressources en silice, c’est d’ailleurs elle qui en était le fournisseur des romains. Au IXe siècle de notre ère, la soude végétale riche en cendres présente au Levant et en Égypte, a été utilisée pour remplacer la soude minérale.
La monnaie est d’abord apparue dans l’Empire romain sous forme de pièces de métal. À l'époque byzantine, la production de pièces s'est développée dans différents matériaux sous la forme de petits disques. La monnaie en verre fut utilisée dans les pays de culture islamique, introduite par le calife omeyyade Abd al Malik, du VIIIe siècle jusqu'à la fin de la période mamelouke.
Lorsque l'administration abbasside succéda à l’administration omeyyade en Égypte, la production de verre demeurera la même. À la fin du règne des Abbassides cependant, aucune pièce en verre ne fut conservée chez les Tūlūnids (868-905 CE). La reproduction de monnaie en verre reprit plus tard, lors de l'établissement du califat fatimide. La différence de production du verre au cours de ces périodes suggère clairement divers changements dans les techniques et les recettes de fabrication du verre, révélant le contexte historique des échanges commerciaux dans la Méditerranée, tant sur le plan chronologique que géographique.
Les pièces en verre étaient fabriquées par estampage avec des inscriptions ou des symboles figuratifs sur les deux faces. Les inscriptions peuvent contenir le nom du calife ou de l'imam au pouvoir, des déclarations de la foi islamique et des phrases du Coran, ainsi que la date et le nom de la ville.
Les couleurs de verre
Les couleurs de ces pièces en verre sont différentes des autres objets en verre égyptiens. Au début de la production, les pièces en verre se développent dans des nuances de vert. Aux VI, VIIe, XII et XIIIe siècles, la plupart des pièces de verre sont opaques de couleur blanche ou turquoise, on trouve également de nombreuses pièces en noir opaque. L'année 627 est marquée par de grands changements, puisque l'on peut trouver de grosses pièces en verre translucide de couleur rouge-violet avec différentes nuances allant du rose foncé au rose pâle, alors que le jaune-vert et le jaune-rouge étaient rares à cette époque. Il a ensuite été remplacé par du verre cristallin, généralement en bleu cobalt translucide aux VIIIe et XIVe siècles.
Le verre marbré a également été utilisé pour décorer les pièces de monnaie avec deux couleurs contrastantes l’une par rapport à l’autre (voir la pièce n°6). Le blanc opaque est assez typique aux XIIe et XIIIe siècles, parfois avec le mélange d'autres couleurs.
Fonctions de la monnaie en verre
Bien que nous l’appelions « monnaie », l’usage exact de ces pièces en verre omeyyades et abbassides reste difficile à identifier. Il existe plusieurs théories sur la fonction de cette production. Elle pourrait être utilisée effectivement comme monnaie d’échange contre des marchandises, dans ce cas c’est leur poids qui définissait leur valeur. Elles étaient peut-être aussi utilisées pour la propagande religieuse ou encore comme jetons en tant que monnaie officielle frappée par le pouvoir en place. Ces probabilités sont données par le professeur E.T. Rogers, spécialiste de la question. À l’origine ces pièces en verre servaient pour contrôler le poids des pièces d'or (dinar) et d'argent (dirham). Les poids en verre ont été mis au point pour contrôler la précision des pièces métalliques frappées à la main dont il était difficile de garantir l'exactitude du poids. Les vendeurs utilisaient des poids en verre pour s'assurer que la bonne quantité de métal était payée en échange de l'achat des marchandises. Une étude montre que l'apparition du poids en verre a une certaine importance monétaire dans certains cas et nous aide à comprendre la révolution du dinar et du dirham au cours des différentes périodes.
3. Place sur le marché de l’art.
- Rareté : Les pièces en verre de la période Abbasside et Fatimide sont assez courante sur le marché de l’art, on en trouve aussi beaucoup dans les musées. Il y a environ 10 000 pièces dans le monde, produisant en huit siècles, principalement d'Egypte.
- Prestige de la signature : Il n’y a pas de signature pour ces pièces en revanche les inscriptions qu’elles contiennent peuvent jouer un rôle dans la valeur dans la mesure où elles comportent les noms du calife ou de l’imam.
- Originalité et sujet : Ces pièces sont pour le moins originales, jetons de monnaie ou amulettes de propagande religieuse, le fait qu’elles contiennent des hadiths et des noms de personnes importantes en font un point essentiel dans la valeur.
- Qualité : Ces pièces sont de très belles qualité.
- Conservation : Elles sont toutes en très bon état de conservation, bien que certaines inscriptions aient un peu disparues. Étant donné leur ancienneté, ce point joue un rôle essentiel dans la construction de la valeur de ce lot.
- Dimensions : S’agissant de pièces de monnaie, les dimensions ne jouent pas de rôle particulier dans la valeur. Pour un collectionneur, ces pièces ne prennent pas beaucoup de place et peuvent présenter un avantage.
- Matière : Le verre est un matériau précieux pour l’époque dont elle nous provient, étant donné qu’il est cassable et donc fragile, ce point joue un rôle important dans la chaîne de la valeur.
- Ancienneté : Ces pièces sont datées entre le VIIIe et le XIIe siècle, période considérée comme les débuts de la production de monnaie en verre. La période de production ajoute donc de la valeur à ce lot.
- Origine : Période Fatimide ou Abbasside, très appréciée pour sa production artistique. Cela participe donc de la valeur de l’ensemble.
- Mode : Il n’y a pas vraiment de mode pour ce type de pièce. Il y a des collectionneurs mais c’est un marché de niche donc tant qu’il y aura des personnes pour les collectionner, il y en aura pour les acheter à tout prix.
- Offre et demande : Il y a malgré l’ancienneté, beaucoup d’offres sur le marché de l’art pour ce type de pièces, cependant elle reste proportionnelle au nombre de collectionneurs et se vendent donc souvent à des prix élevés.
- Communication : Sotheby’s a fait le nécessaire pour que soit bien compris la valeur et l’importance de ces pièces sur le plan historique et culturel. Peut-être que des maisons moins connues n’auraient pas su susciter des enchères aussi hautes.
- Fluctuation : Il n’y a pas vraiment de fluctuation pour cette spécialité sur le marché de l’art. Les prix sont souvent les mêmes et d’importance car il y a des collectionneurs pour acheter.
- Lieu d’adjudication : Le lot a été présenté à Londres chez Sotheby’s en 2007. Ce qui n’a que peu d’importance quant à la valeur.
- Esthétisme : Bien que ce critère soit subjectif, cet ensemble est très beau par la diversité des couleurs de ces pièces et des belles inscriptions coufiques.
III. RARE BOL EN VERRE LUSTRÉ FATIMIDE

Egypte, IXe - XIe siècle
Bol en verre transparent avec une base et une bordure de couleur vert d’eau, à décor lustré de palmettes et de motifs géométriques.
En bon état de conservation.
Dimensions : H. 6,7 cm - Diamètre : 14,5 cm
Estimation : 22.000 - 34.000 euros
Adjudication : 27.500 euros
1. La dynastie Fatimide :
Au Xe siècle, toute la région s’étendant de l’Algérie à l’Egypte en passant par la Sicile et jusqu’à la Syrie actuelles, passa sous la domination d’une nouvelle dynastie : les Fatimides. Opposés aux Abbassides sunnites qu’ils considèrent comme des usurpateurs, eux sont chiites, ils sont les descendants légitimes de Fatima, la fille de Mahomet. La dynastie fatimide apparaît au début du Xe siècle en Syrie, avant de s’étendre au Magreb. En 969, ils prennent aux Abbassides la ville du Caire : Al-Qahira ce qui signifie « la triomphante » et qui devient la rivale de la « ville de la paix » : Bagdad. À cette époque, l’Egypte connait une grande prospérité principalement grâce à son rôle d’intermédiaire dans le commerce lucratif entre la Méditerranée et l’Inde. La cour Fatimide devient rapidement signe d’opulence et de richesses. Au XIe siècle, ce califat est le plus puissant du Moyen-Orient.
Sur le plan artistique, les Fatimides permirent un renouvellement tant en matière d’architecture (les portes d’enceinte du Caire sont notamment l’un de leurs héritages) que d’arts décoratifs mais aussi pour la peinture et la sculpture. Les Fatimides sont aussi des érudits, ils possèdent la plus belle bibliothèque du monde arabo-musulman d’alors. En mécénant les arts, ils ont permis une renaissance des arts décoratifs.
Le Caire devint le centre culturel le plus important du monde islamique et donna lieu au renouvellement de certaines techniques artistiques qui avaient été perdues. Al-Fustat, le « vieux Caire » devint un centre de production de poterie, de verre ainsi que de sculpture sur cristal de roche (véritables virtuoses, les artisans Fatimides sont admirés encore aujourd’hui pour leur technique sur le cristal de roche, l’un des plus beaux exemples qui nous soit parvenu est l’Aiguière aux Oiseaux du début du Xe siècle, aujourd’hui conservée au Musée du Louvre). Les œuvres d'art de cette période illustrent la créativité et l'ingéniosité des artisans de la région. La technique du lustre, développée à l'origine en Irak, y est relancée. Certaines pièces de lustre de cette période sont signées par leurs créateurs, ce qui peut être considéré comme un témoignage de l'estime dont jouissaient les artisans. La sculpture sur bois et les bijoux étaient exécutés avec autant d'habileté et d'inventivité. Les artistes recherchèrent le mouvement et inventèrent de nouveaux motifs décoratifs, utilisant des formes figuratives humaines et animales. Tandis que pour les décors, ils allèrent plutôt vers la stylisation en créant des décorations végétales et géométriques abstraites.
2. La technique du lustre
Le lustre est une technique pratiquée en Syrie et en Egypte du VIIe au IXe siècle. Celle-ci s’appliquait au verre mais aussi à la céramique.
Après avoir donné sa forme définitive à la pièce en verre, on la décorait au pinceau fin avec des pigments qui contiennent de l’argent ou du cuivre. Elle était ensuite cuite au four à des températures basses qui permettaient de fixer les motifs de façon permanente sans que cela détériore la forme initialement donnée à la pièce. Avec cette technique, les pigments sont absorbés après cuisson, ce qui donne le plus généralement des pièces au décor de teintes brunâtre ou jaunâtre. Les décors à base d’argent donnent une coloration, après cuisson, qui tire sur le jaune, sur l’ambrée ou sur le marron tandis que les décors à base de cuivre donnent des teintes rouges - rubis. L’essentiel de cette technique consiste au contrôle minutieux des températures de cuisson des pièces pour obtenir l’effet souhaité. Le rendu donne un éclat brillant à la pièce.
La transparence de ce bol fatimide met en valeur les décors lustrés appliqués au pinceau avec beaucoup de délicatesse.
3. Place sur le marché de l’art
- Rareté : ce type de pièce est extrêmement rare sur le marché de l’art. Ce matériau est très fragile et rares sont les pièces à nous être parvenues dans cet état quasi parfait de conservation. Donc ce critère est primordial pour comprendre la valeur de l’objet.
- Prestige de la signature : certains artisans de l’époque signaient leurs pièces mais ce n’est pas le cas de celle-ci, cela n’a donc aucun impact sur la valeur.
- Originalité : cette pièce est d’une rare originalité. Ses motifs stylisés ainsi que la transparence du verre sont peu communs en ce qui concerne les pièces qui passent sur le marché de l’art.
- Qualité : cette pièce est de très belle qualité, le verre est un matériau luxueux pour l’époque. La qualité est également présente dans l’exécution des décors.
- Conservation : son état de conservation est exceptionnel, les dessins encore très précis. Ce critère participe donc de la valeur, d’autant plus qu’il s’agit d’un objet en verre donc très fragile.
- Dimensions : les dimensions de la pièce n’ont pas un grand impact sur sa valeur car il s’agit d’un bol de taille normale.
- Sujet : les dessins abstraits que l’on peut admirer sur cette pièce sont typiques de la production Fatimide de l’époque. Le sujet a donc un impact sur la valeur, d’autant plus que ces dessins pourraient être qualifiés de « très modernes » eu égard à leur stylisation.
- Histoire : ce bol était destiné à une utilisation courante, cela n’a donc pas d’impact sur la valeur de la pièce.
- Matière : le verre est un matériau très prisé des collectionneurs, pour ses qualités esthétiques mais aussi techniques. Par ailleurs, le verre a une grande importance pour l’Islam : il symbolise la lumière divine.
- Ancienneté : oui l’ancienneté participe activement de la valeur de ce bol fatimide. Cette pièce fragile a su traverser les siècles sans se briser. Elle est le témoignage à la fois d’une époque très éloignée de la notre mais aussi du passage du temps.
- Origine : on ne connait pas l’origine de cette pièce, seulement qu’elle est le fruit du travail d’une dynastie importante pour les arts. Cela peut donc participer de la valeur de la pièce dans la mesure où les oeuvres de la dynastie fatimide sont recherchées sur le marché de l’art par les collectionneurs.
- Mode : il n’est pas vraiment question de mode pour une telle spécialité plutôt pointue au quelle seuls les amateurs sont susceptibles de s’intéresser en vente aux enchères. Cependant, on pourrait dire que cette pièce, bien qu’ancienne, est compréhensible aujourd’hui (d’autres, comme les lampes de mosquée de la même époque par exemple, correspondent moins à nos goûts d’aujourd’hui).
- Offre et demande : il y a très peu d’exemples de ce type qui nous soit parvenu. Cette pièce est exceptionnelle, il en existe une assez semblable au British Museum. La figuration et les couleurs sont les mêmes, seule la forme varie légèrement. Notre pièce est donc une pièce de qualité muséale, elle est parvenue en très bon état et il y a peu de pièces de ce type susceptibles de circuler sur le marché de l’art. Il y a donc très peu d’offres pour répondre à la demande des collectionneurs. Ce point participe donc à la valeur de la pièce.
- Communication : s’agissant d’une vente chez Christie’s, la communication est certainement efficace et l’entreprise rassemble un réseau de collectionneurs dans le monde entier, ce qui peut avoir son importance pour la valeur de la pièce.
- Fluctuation : pour reprendre le point mode, étant un marché de niche, il n’y a pas vraiment de fluctuation sur ce type de pièce.
- Mécénat : il y avait effectivement du mécénat sous la dynastie fatimide qui a permis de régénérer les arts. Cependant, cette pièce appartient davantage à la production courante donc elle n’a surement pas fait l’objet d’un mécénat.
- Lieu d’adjudication : la vente a eu lieu à Londres, ce qui peut avoir une influence sur le prix mais relativement faible car les collectionneurs d’arts de l’islam sont dans le monde entier. Cependant, peut-être Londres est-elle plus apte à attirer les enchérisseurs du monde entier.
Esthétisme : c’est une très belle pièce. La couleur brunâtre du décor, la stylisation des feuilles et les motifs géométriques sont de très belle qualité. Il y a également une justesse dans les proportions et de l’harmonie dans l’ensemble. Le verre a une jolie couleur qui sur le verdâtre. Ce critère participe donc de la valeur de cette création fatimide.
IV. FLACON EN VERRE BLEU SOUFFLÉ PAR MOULAGE

Perse, Xe-XIIe siècle
Corps globulaire reposant sur un pied circulaire, haut col étroit se rétrécissant et finissant avec un large bord aplati, le corps est décoré de moulures en nid d'abeille.
Bon état de conservation mais à noter un manque important au niveau de la base, des égrenures sur le col et oxydation au niveau du pied et sur le col.
Dimension : H.20.8 cm
Estimation : 8 800 - 10 350 euros
Adjudication : 10 464 euros
La verrerie a prospéré dans le monde arabe pendant plus de deux millénaires malgré des changements politiques, sociaux et religieux importants. Les verriers ont continués à employer les techniques héritées des empires byzantin et sassanide (Perse et Mésopotamie) de la même manière qu'ils l'avaient fait pendant des siècles. Ils ont conservé les méthodes de soufflage du verre, l'utilisation de moules, et les techniques d’application décorative. Du VIIe au XIVe siècle, la production de verre a été très novatrice et a connu des phases glorieuses comme celles du superbe verre taillé en relief et de spectaculaires objets dorés et émaillés.
1. Verre du début de l'islam: milieu du 7e à la fin du 12e siècle en Perse
Le lien entretenu entre la Mésopotamie et la Perse au cours de la période a également fortement influencé la vie artistique du monde islamique, notamment en ce qui concerne les techniques stylistiques de la verrerie. La production de verre durant cette période est concentrée dans trois régions principales en Méditerranée orientale. L’industrie du verre en Perse s'est considérablement améliorée sur le plan technique, avec une forte croissance productive et de grandes réalisations au cours de cette période. Les récipients sculptés en verre incolore sont assez courants à partir des IXe et Xe siècles. Comme en Égypte, la fabrication du verre a commencé à changer au IXe siècle, grâce à la reprise des réalisations sassanides et à l'influence des Abbasides.
2. Technique et couleurs
Moules de soufflage du verre
Depuis l'invention du soufflage du verre au premier siècle avant J.-C., les verriers utilisent les mêmes outils pour modeler et décorer le verre fondu. Le moule de soufflage du verre (qui consiste à souffler le verre dans un moule pour lui donner sa forme) est une technique développée dès ce siècle et largement utilisée chez les verriers dans le monde islamique au cours du temps, et particulièrement populaire en Iran.
Le verre fondu pouvait être soufflé dans un moule afin de créer un décor sur la pièce en une seule opération. Le souffleur de verre pouvait donner au verre fondu les formes qu’il souhaitait lorsque la matière était encore malléable : créer des poignées, des motifs ou des rebords. Le verre fondu au cours du processus, est recueilli à l'extrémité d'un chalumeau dans un récipient qui donne sa forme à la pièce finale. Le chalumeau est généralement en métal, fer ou acier, et prend la forme d'un tube. Il existe deux types de moules utilisés dans la production islamique : un moule de taille et un moule à immersion. Le verre fondu était inséré dans un moule à charnière en deux parties qui contenait des motifs permettant d’impressionner la matière. Ce type de moulage est utilisé pour créer rapidement des objets avec des motifs comme les « nids d’abeille », des nervures ou des cannelures verticales, des facettes, des motifs géométriques et végétaux, et parfois des inscriptions calligraphiques.
L’autre type de moule consiste à donner son décor à la pièce avant de le souffler en dehors du moule à l’air libre. L’inconvénient de cette technique est que le motif apparaît avec un relief moins distinct, moins précis. Le moule de forme était donc favori.
Un moule a été conçu, dessiné et coulé avant la création d’une pièce en verre, de sorte que les détails de mise en forme et de finitions peuvent produire un objet unique. Les moules pouvaient être faits de métal (principalement du bronze) ou de matériaux moins durables. Après la mise en forme d'un récipient, un pontil (tige de métal solide) est utilisé pour couper la base du récipient de la sarbacane, ce qui laisse une marque circulaire irrégulière au fond du récipient, communément appelée « marque de pontil ». En outre, il existe des outils tels qu'un bloc pour former une sphère pendant le gonflage, une merveille (pierre plate lisse/métal) pour ramollir le verre, un vérin pour façonner l'embouchure d'un récipient ouvert, et une cisaille pour couper l'excès de verre. Ces méthodes nécessitaient un travail minutieux et méthodique.
En générale, les objets en verre conçus pour un usage quotidien ne sont pas décorés en surface. Ils sont plutôt considérés comme du matériel d'étude par les collectionneurs. Les objets non décorés peuvent nous aider à comprendre la continuité des traditions à travers la forme donnée.
Couleurs dans l’industrie verrière
Dès le début de la production de verre islamique, une grande partie est consacrée à la réalisation de pièces de couleur verte. D'autres existaient en bleu de cobalt translucide ou en jaune foncé. Du Ve au XIe siècle, période d'expérimentation, de nouvelles couleurs et des verres opaques ont été développés avec différentes tonalités de jaune, de vert pâle, mais il n'y a pas de couleur dominante mais des verres blancs opaques (émaillés ou peints) apparaissent plus tard. Le vert, le bleu-vert et le bleu foncé ont été découvertes pendant la période ayyoubide.
Du VIIIe au XIVe siècle, certains récipients ont été trouvés avec des couleurs combinant le blanc et le bleu de cobalt comme décorations traînées comme du fil bleu, ou des fils blancs formant les anses et les lèvres.
3. Place sur le marché de l’art
- Rareté : Nous pouvons trouver des pièces similaires dans d'autres maisons de vente aux enchères. Parce que cette pièce a été fabriqué par moulage, une technique couramment utilisée pour faire de la production de masse. En revanche, sa couleur est particulière.
- Prestige de la signature: Il n'y a pas de signature sur cette pièce.
- Originalité : Cette pièce est très originale bien que d’autres passent en vente.
- Qualité : le moulage par soufflage est considéré comme une technique courante dans la production de verre islamique, le décor en nid d'abeille n'est pas aussi net que la technique de coupe du porte-crayon ci-dessus.
- Conservation : la base est légèrement cassée avec quelques traces de couleur blanche à la base et au niveau du col du flacon. Le motif en nid d'abeille demeure mais n’est pas très lisible. Le bleu reste remarquable par sa vivacité.
- Dimensions : Le flacon mesure environ 20 cm de haut, ce qui représente une belle dimension pour un objet de collection.
- Sujet : on ne connaît pas sa fonction précise, mais nous pouvons imaginer que cette bouteille a un rôle de récipient à liquide.
- Matière : ce matériau est d’une complexité et d’une fragilité qu’il est de fait de grande valeur.
- Ancienneté : cette bouteille correspond à la période expérimentale du Ve au XIe siècle en ce qui concerne ses couleurs. Oui cette pièce est très ancienne et ce critère a donc une influence sur la valeur.
- Offre et demande : La pièce a été vendue en 2007. Il existe une bouteille similaire du même catalogue proposée par Sotheby’s mais qui n’a pas été vendue. Il y a tout de même quelques pièces de ce type sur le marché, on peut donc dire que l’offre correspond à la demande.
- Communication : La bouteille a été présentée dans le catalogue Arts of Islamic World de Sotheby’s avec de nombreux autres pièces d’art islamique, en 2007. Cependant Sotheby's par rapport à d’autres pièces apporte peu d’informations détaillées sur l'objet. En revanche, il s’agit d’une grande maison à la communication efficace donc cela participe de la valeur de la pièce.
- Fluctuation : Comme dit précédemment, certaines bouteilles similaires existant sur le marché sont évaluées à la même période du 8ème au 12ème siècle, de Perse ou de Syrie, ce qui nous aide à comprendre que la production de ce type de bouteille était assez populaire à l'époque. Il y a donc d’autres bouteilles du même type qui passent sur le marché et la valeur est souvent la même donc il n’y a pas vraiment de fluctuation pour la valeur de cette pièce.
- Lieu d’adjudication : le lieu d’adjudication n’a qu’une influence minime sur la valeur de cette pièce.
- Esthétisme : La couleur bleu de la bouteille et son motif en nid d’abeille, ainsi que sa forme forment un ensemble qui participe à la beauté de cette pièce. L'esthétisme est donc un critère qui participe à la valeur.
V - BOUTEILLE EN VERRE MAMELOUKE

Probablement Syrie, XIIIe siècle
Panse globulaire et haut col tubulaire légèrement effilé avec des anses ondulées. Oxydes de manganèse à décor marbré blanc formant des motifs de fleur.
Très bon état de conservation, quelques égrenures.
Dimension : 16,6cm
Estimation : 17.000 - 23.000 €
Prix au marteau : 116.000 €
1. La Dynastie Mamelouke
Le Sultanat Mamelouk, établit en califat, s’étendait sur un vaste territoire : l’Egypte actuelle, le Levant et le Hedjaz. Il débuta avec le renversement de la dynastie Ayyoubide en 1250 et prit fin avec la conquête de l’Egypte par les Ottomans en 1517. L’ère Mamelouke est divisée en deux périodes par les historiens : l’une couvrant les années 1250 à 1382, appelée « Bahrī » représente la période d’apogée, et l’autre de 1382 à 1517, « Burjī » est considérée comme la phase de déclin. Les historiens s’appuient sur le changement d'origine ethnique de la majorité Mamelouke pour établir cette scission. En effet, la première phase est à dominante turque et la seconde circassienne.
Les Mamelouks sont à l’origine des esclaves originaires de Turquie dont les sultans ayyoubides avaient fait leur garde personnelle. En arabe « mamlûk » signifie « esclave ». Ils acquièrent leur légitimité, lorsqu’en 1250, ils repoussent une croisade initiée par Louis IX aux portes du Caire. Ils assassinent ensuite le sultan héritier ayyoubide al-Mu'azzam, mettant ainsi un terme à la dynastie. Le premier Sultan mamelouk s’appelle Baybars, il remporte son titre en 1260 avec sa victoire sur une attaque mongole qui risquait de détruire l’Egypte, à l’image de ce qui arriva à la ville de Bagdad dont il se propose, d’ailleurs, d’accueillir les derniers survivants Abbassides. Il établit alors un califat islamique et devient le chef de l’Oumma en régnant sur les lieux saints de l’islam : La Mecque et Médine.
À l’image de la Renaissance en Europe, la Dynastie Mamelouke représente une période d’apogée dans les arts pour le monde islamique. La capitale Mamelouke : Le Caire, devint le centre économique, artistique et culturel du monde arabo-musulman. La prospérité générée par le commerce de la route de la soie, permit à la dynastie de soutenir les arts et la création architecturale. Accueillant différentes populations de l’Est et de l’Ouest, le territoire constitua un véritable pôle d’émulation artistique. Les techniques héritées des Ayyoubides furent perpétrées et intégrées aux influences d’autres parties du monde islamique. Les arts décoratifs mamelouks, comme le verre émaillé et doré, le lustre, le travail du bois et des textiles, étaient prisés dans toute la Méditerranée, où ils eurent un profond impact sur les productions locales : l'influence de la verrerie mamelouke sur l'industrie verrière vénitienne n'est qu'un exemple parmi tant d'autres.
2. Techniques et fonctions de la pièce
Le verre soufflé a été inventé par des artisans syriens dans la région d’Alep au Ier siècle avant J.C. La technique consiste à façonner une masse de verre ramollie par la chaleur dans laquelle on insuffle de l’air par le biais d’un tube. Les ajouts, tels que les tiges, les pieds ou les poignées, sont fixés par soudage. Cela fit l’objet d'une vaste production de récipients en verre pour un usage quotidien ainsi que des modèles plus prestigieux destinés aux élites. Produits en Syrie, ils étaient vendus et exportés dans toutes les régions de l’Empire romain. La technique est restée fondamentalement la même au cours du temps.
Concernant les anses de notre bouteille mamelouke, la technique utilisée consiste à souffler la pâte de verre dans un moule cannelé ce qui permet d’obtenir des éléments dont la surface est ondulée.
L’aspect marbré de notre pièce résulte de l’inclusion d’un filet de verre blanc dans le corps de couleur marron ce qui crée un effet de contraste. Cette méthode déjà utilisée dans l’Égypte antique, était assez répandue et s’est perpétuée au fil du temps.
Concernant la forme de notre pièce, il s’agit d’un flacon. La panse globulaire et le col dont l’embouchure est assez étroite, permettait de conserver du parfum.
3. Place sur le marché de l’art
- Rareté : ce type de pièce est très rare sur le marché de l’art. La fragilité du matériau, le verre, en fait un objet extrêmement délicat à conserver dans le temps. De fait, le nombre de pièces parvenues jusqu’à nous est très limité, donc la rareté joue un rôle prépondérant dans la valeur de cette pièce.
- Prestige de la signature : cela ne s’applique pas dans les arts de l’Islam car l’artisan s’efface derrière l’atelier de production.
- Originalité : la pièce est originale avec cet aspect marbré, son col et ses anses ondulées. La couleur marron du verre est assez peu répandue. Ces éléments participent de la valeur de l’objet.
- Qualité : fabriquée dans la région qui a inventé la technique du verre soufflé et dont les ateliers ont su conserver les traditions mais aussi innover, il ne fait aucun doute que cette pièce est de très grande qualité.
- Conservation : son état de conservation est exceptionnel, d’autant plus qu’il s’agit d’un objet en verre donc très fragile. Ce point participe activement à sa valeur.
- Dimensions : la pièce est de belle dimension, ce qui peut avoir une influence sur le prix par rapport à une pièce de petite dimension.
- Sujet : il n’y a pas à proprement parler de sujet pour cette pièce.
- Histoire : ce point est également important bien que l’on ne connaisse pas précisément le passé historique de cette pièce, on sait qu’elle était utilisée pour conserver du parfum et qu’elle a su traverser les âges.
- Matière : le verre est un matériau très prisé des collectionneurs, pour ses qualités esthétiques mais aussi techniques. Par ailleurs, le verre a toute son importance pour l’Islam : il est symbole de la lumière divine.
- Ancienneté : cela participe aussi de la valeur de la pièce qui a su traverser huit siècles.
- Origine : son origine est inconnue mais le fait qu’elle est été créée sous l’ère Mamelouke qui représente l’apogée des arts de l’Islam, a son importance dans l’adjudication.
- Mode : l’art du verre islamique constitue un marché de niche, il n’y a donc pas à proprement parler de mode mais plutôt une valeur immuable.
- Offre et demande : il y a évidemment peu d’offres pour ce type de pièce, les collectionneurs seront donc plus enclins à enchérir.
- Communication : s’agissant d’une vente chez Christie’s, la communication est certainement efficace et l’entreprise rassemble un réseau de collectionneurs dans le monde entier, ce qui peut avoir son importance pour la valeur de la pièce.
- Fluctuation : pour reprendre le point mode, étant un marché de niche, il n’y a pas vraiment de fluctuation sur ce type de pièce.
- Mécénat : il n’y a pas de mécénat pour ce type de production courante pour l’époque, cela n’est donc pas un point à prendre en compte pour la valeur.
- Lieu d’adjudication : la vente a eu lieu à Londres, ce qui peut avoir une influence sur le prix mais relativement faible car les collectionneurs d’arts de l’islam sont dans le monde entier.
- Esthétisme : bien qu’il s’agisse d’un point subjectif, cette pièce est particulièrement esthétique, l’effet marbré du décor, les anses ondulées, les proportions justes entre le corps et le cou sont très réussies. Cela participe donc de la valeur de la pièce.
L’ensemble de ces critères objectifs et subjectifs, justifie l’adjudication pour plus de 100.000 euros, de cette pièce.
VI - BOUTEILLE EN VERRE BLEU ÉMAILLÉ ET DORÉ MAMELOUKE

Egypte ou Syrie, fin XIIIe siècle
Le corps repose sur un piédouche évasé et se prolonge en un long col tubulaire effilé qui s’élargit au niveau de la bouche et présente une inscription naskh. L’ensemble est décoré d’inscriptions calligraphiques, de lions et de fleurs de lys rehaussés de polychromie et de dorure.
Dorure légèrement abîmée.
Dimension : H.31,.8 cm
Estimation : 200.000 - 300.000 €
Prix au marteau : 950.000 €
Provenance :
Frédéric Spitzer (1815 - 1890); P. Chevallier & C. Mannheim, Paris, 17 avril - 16 juin 1893, lot 1972, “Travail arabe (XVe siècle)”, lot non illustré (vendu 11.000 francs).
Collection de la baroness Batsheva de Rothschild.
1. Le verre émaillé
La technique du verre émaillé s'est développée au cours du XIIe siècle en Syrie dans les ateliers de verre de Raqqa et a prospéré pendant l’ère mamelouke. C’est la technique la plus précieuse et la plus appréciée dans l’art du verre islamique pour sa complexité. Des émaux (verre coloré broyé en poudre) ou de l’or sont d’abord mélangés à de l’huile puis appliqués à la surface du verre à l'aide d'un pinceau. L'or et les émaux ayant des qualités chimiques différentes, les températures de cuisson ne sont pas les mêmes. Seulement, soumettre la pièce à plusieurs cuissons pourrait avoir un impact sur sa forme, les experts pensent donc que les verriers de l’époque avaient mis au point une technique leur permettant d’appliquer toutes les couleurs et de ne procéder qu’à une seule cuisson à différentes températures sans que les couleurs ne se mélangent.
Les pièces les plus précieuses de cette production étaient destinées à des sultans mais certaines pièces parvenues jusqu’à nous suggèrent qu’une autre production était réalisée à des fins commerciales.
Lorsque Le Caire devient la capitale de l’Empire mamelouke, la plupart des pièces émaillées de qualité y est fabriquée. À la fin du XIVe siècle, la production s'essouffle probablement à cause du manque de mécénat, ce qui entraîne la fermeture des ateliers. À fin du XVe siècle, la production de verre émaillé se déplace vers l’Europe et Venise en devient la nouvelle capitale.
2. Caractéristiques de la pièce
Il y a très peu de pièces de ce type qui soient parvenues jusqu’à nous, il y en aurait une petite vingtaine dans le monde provenant de la dynastie mamelouke avec cette même forme mais concernant l’émail. En effet, le bleu serait très compliqué à obtenir sur une pièce en verre. Par ailleurs, cette pièce est de très grande dimension en regard d’autres pièces de ce type qui se trouvent dans les musées.
Cette forme en bouteille, serait la première manifestation de la production de verre émaillé en Egypte et en Syrie. Un modèle de forme similaire serait conservé au MET de New-York, à la différence que le verre n’est pas entièrement coloré, comme notre bouteille, mais simplement décoré.
Plusieurs inscriptions calligraphiques naskhs ornent la pièce. Celle qui est sur le pourtour de l’ouverture indiquerait : “ 'izz li-mawlana al-sultan” ce qui signifie Gloire à notre seigneur le Sultan.
Au niveau de la base du cou : “ 'izz li-mawlana al-sultan al-malik” signifiant Gloire à notre seigneur, le Sultan, le Roi.
Au niveau de la panse : 'izz li-mawlana al-sultan al-mr al-'alim al-'adil al-mujahid al-murabit al-mura [bi]t al-muthaghir al-mu'ayyad” signifiant Gloire à notre Seigneur le Sultan, le sage, le juste, lui qui a combattu au nom de Dieu, il est soutenu par Dieu.
L’inscription calligraphique de la panse contient également le symbole d’un lion. Il serait le blason du sultan Baybars, premier grand sultan mamelouk.
3. Place sur le marché de l’art
- Rareté : ce type de pièces est particulièrement rare, il n’en existerait pas plus d’une vingtaine conservé dans les musées du monde. La fragilité de l’objet en fait un élément compliqué à conserver. Cette pièce a, par ailleurs, l'atout d’être en verre émaillé bleu ce qui est très rare. La valeur de la pièce procède particulièrement de ce premier point.
- Prestige de la signature : il n’y a pas de signature à proprement parler pour l’art du verre islamique. Ce critère n’intervient donc pas dans la valeur de la pièce.
- Originalité : cette pièce est très originale comme nous l’avons vu précédemment, il existe peu d’exemples de ce type, à la fois en ce qui concerne la forme, mais également pour la couleur sur l’ensemble de la pièce.
- Qualité : la qualité de réalisation des décors, des inscriptions calligraphiques et de la forme est un élément pertinent concernant la valeur. Le verre émaillé est une technique complexe qui demande beaucoup de technicité.
- Conservation : cette pièce est en très bon état de conservation, ses décors sont intacts, ceci est un argument d’importance pour une pièce conçue dans un matériau si fragile.
- Dimensions : cette pièce est de très belle dimension, il existe très peu exemples de bouteilles en verre mameloukes de cette hauteur.
- Sujet : le lion, blason du sultan Baybars et les inscriptions calligraphiques à la gloire de celui-ci font du sujet un élément important dans la valeur de cette pièce.
- Histoire : nous ne connaissons pas précisément l’histoire de cette pièce mais aux vues de ses qualités esthétiques, techniques et des inscriptions calligraphiques, elle était destinée à un sultan. Ceci est donc un point déterminant pour sa valeur.
- Matière : ce matériau est d’une complexité et d’une fragilité qu’il est de fait de grande valeur.
- Ancienneté : ce point joue également un rôle essentiel dans la construction de la valeur de la pièce car elle a quelques sept siècles d’existence et malgré sa fragilité, elle est parvenue jusqu’à nous.
- Provenance : critère déterminant dans la valeur de cette pièce car elle a appartenu Frédéric Spitzer (1815 - 1890) qui était à la fois collectionneur et marchand d’art à Paris et qui a constitué une importante collection qui fut dispersée en vente publique lors de sa mort et considérée comme la vente du siècle. Elle fut ensuite la possession de la baronne Batsheva de Rothschild (1914 - 1999), petite-fille du baron James de Rothschild, fondateur de la branche française des banquiers Rothschild. Femme érudite et admirée de son temps, elle créa une Fondation pour les Arts et les Sciences à New York. Le prestige de cette provenance participe donc de l'intérêt de la pièce pour les collectionneurs.
- Mode : il n’y a pas à proprement parler de mode pour ce type de pièces.
- Offre et demande : il y a des collectionneurs pour l’art du verre et pour l’art du verre islamique cherchant ce type de pièces mais il en existe très peu comme nous l’avons déjà vu et aucune d’une telle qualité. Ce point est donc essentiel pour la valeur de notre pièce.
- Communication : là encore, il s’agit d’une grande maison de vente à la réputation internationale ayant un réseau de collectionneurs dans le monde entier, cela peut donc compter dans l’adjudication car Christie’s a l’avantage de pouvoir rassembler tous les collectionneurs de verre islamique autour de cette pièce.
- Fluctuation : il n’y a pas vraiment de fluctuation pour ce type de spécialité de niche.
- Mécénat : cette pièce fut mécénée par un Sultan, peut-être Baybars, le fondateur de la dynastie mamelouke donc ce critère compte également.
- Lieu d’adjudication : le lieu d’adjudication n’a qu’une influence minime sur la valeur de cette pièce.
- Esthétisme : ce critère peut être pris en compte car cette pièce est de très belle facture, sa forme, sa couleur et ses décors sont très réussis.
L’adjudication de cette pièce pour près d’un million d’euros, s’explique par l’ensemble des critères que nous venons de voir. Il s’agit d’une pièce de qualité muséale et très peu d’oeuvres de ce type circulent sur le marché de l’art. Notre bouteille est comparable à celle dite “au blason” qui se trouve dans le départements des arts de l’Islam du Louvre. Les deux pièces proviennent d’ailleurs de la même collection Spitzer.
CONCLUSION
Déjà pratiquée dans l’Empire romain, la fabrication du verre fut perpétrée par les différentes dynasties qui se succédèrent dans le monde arabo-musulman à sa suite. Ils perfectionnèrent les techniques, en inventèrent d’autres, surent les adapter aux différentes influences esthétiques et culturelles des régions de ce vaste territoire islamisé.
Le commerce entre l’Est et l’Ouest permit la circulation des épices mais aussi des oeuvres d’art, emportant avec elles, les secrets de leurs techniques de fabrication qui continuèrent d'étendre leur influence et prospérèrent en Europe.
La verrerie a une importance prépondérante dans les arts de l’Islam : la transparence du verre symbolise la lumière divine.
Il y a relativement peu de pièces en verre islamique sur le marché de l’art, ce qui s’explique naturellement par la fragilité du matériau. Les estimations sont très variables mais rarement au-dessus de 30.000 euros en fonction de la qualité d’exécution, de la décoration, du lieu de production et de l’ancienneté. L’adjudication la plus élevée que nous ayons trouvée concerne une cruche en verre émaillé et doré mamelouke, datant du milieu du XIIIe siècle passée en vente chez Christie’s Londres en décembre 2000 et adjugée pour la somme de 3.676.816 euros mais ce résultat doit être compris avec les provenances prestigieuses de la pièce qui avait appartenue à des familles anglaises illustres.
Cette spécialité n’est pas soumise aux fluctuations du marché mais davantage aux aléas de l’offre et de la demande : les pièces sont rares et les collectionneurs certainement peu nombreux. On peut remarquer, toutefois, que les adjudications les plus importantes sont réalisées à Londres par les grandes maisons Christie’s et Sotheby’s.
La florissante production du verre islamique déclina à la fin du XIVe siècle en même temps que l’empire mamelouk et la ville de Venise prit sa suite.
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